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Le frelon asiatique : des politiques européennes encore inégales

  • agnesfayet
  • 27 oct.
  • 7 min de lecture

Depuis son arrivée accidentelle en France en 2004, le frelon asiatique (Vespa velutina nigrithorax) s’est imposé comme l’un des symboles des défis liés aux espèces invasives. Présent aujourd’hui dans la quasi-totalité des pays d’Europe occidentale, cet insecte social représente une menace directe pour les abeilles, la biodiversité et plusieurs filières agricoles, en premier lieu la filière apicole. Face à cette urgence, l’Union européenne et les États membres ont progressivement mis en place une mosaïque de mesures. Mais ces efforts restent disparates, révélant la difficulté d’une coordination politique à l'échelle européenne.




Un cadre européen encore trop général


Depuis 2016, Vespa velutina figure sur la liste européenne des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union (règlement UE n° 1143/2014). Ce texte impose aux États membres :

  • de prévenir l’introduction et la propagation de l’espèce,

  • de détecter et signaler rapidement sa présence,

  • et de mettre en œuvre des mesures d’éradication et/ou de gestion adaptées.

Cependant, le règlement laisse une large marge de manœuvre nationale : chaque pays est libre d’organiser la lutte selon ses structures administratives et ses budgets. Au final, les approches divergent fortement d’un État à l’autre.



Des modèles méditerranéens plus structurés


Les pays du Sud de l’Europe, confrontés les premiers à l’invasion, ont élaboré les plans les plus aboutis.


En France, le frelon asiatique a été intégré dans le Code de l’environnement (espèce exotique envahissante). Une stratégie et un plan national de lutte contre le frelon asiatique à pattes jaunes a été mis en place (à l'initiative de GDS France et de FREDON France). Un système de signalement public a été mis en place ainsi que l'encadrement de la formation d'intervenants agréés. La destruction des nids est à la charge du propriétaire ou de l'occupant du terrain concerné. En cas de non-action du propriétaire, le maire peut ordonner la destruction via un arrêté municipal, et les frais sont à la charge du propriétaire (selon l'article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales). 


En Espagne, il existe des plans de lutte régionaux en Galice, au Pays basque et en Catalogne. La lutte bénéficie du soutien du Ministère de la Transition écologique (MITECO). De nombreuses associations d’apiculteurs s'impliquent dans la détection des nids.


En Italie et au Portugal, les projets européens LIFE STOPVESPA (Italie) et GESVESPA (Portugal) sont dédiés à la lutte contre Vespa velutina et sont cofinancés par l’UE à hauteur de 60 %. Les deux pays développent des protocoles scientifiques pour le piégeage sélectif et le suivi ADN. Des réseaux régionaux de surveillance sont coordonnés conjointement par les universités et les apiculteurs.


Des approches nord-européennes encore fragmentaires


Dans le nord et l’ouest du continent, la lutte reste majoritairement régionale ou locale.


En Belgique, la gestion du frelon asiatique est régionale et non coordonnée d'une région à l'autre. En Flandre, la plateforme scientifique Vespa-Watch (INBO) a été développée. En Wallonie, un Plan Frelon a été mis en place en 2023 avec le soutien du Ministère de l'Agriculture pour aider l'activité apicole: encadrement du piégeage des reines fondatrices, protection des ruchers et neutralisation des nids. Ce dernier volet inclut la formation de destructeurs agréés par le CRA-W et une carte des neutraliseurs formés sur le territoire régional. En région bruxelloise, Bruxelles Environnement redirige vers les pompiers en cas de nids dangereux. Aucun moyen financier n'est investi par les pouvoirs publics à ce stade.


Aux Pays-Bas et en Allemagne, les systèmes de signalement et les interventions sont gérés à l’échelle provinciale. Des financements ponctuels existent, souvent locaux, sans cadre national unifié.


En Grande-Bretagne, la coordination de la lutte est centralisée par le National Bee Unit (APHA), c'est-à-dire les apiculteurs. Des protocoles rapides d’éradication et des analyses génétiques pour suivre les lignées introduites sont par exemple mis en place. Aucun financement européen spécifique n'existe depuis le Brexit.


Synthèse des politiques mises en oeuvre


Le tableau ci-dessous synthétise les actions pays par pays.

Pays

Destruction des nids

Protection des ruchers

Prise en compte de la biodiversité

UE

Obligation générale pour les États membres (Reg. 1143/2014, actes d’exécution). Surveillance et actions rapides ; cofinancement via programmes LIFE.

Recommandations et financements possibles via LIFE, FEADER, mais soumis aux politiques de chaque État membre.

Oui, évaluation des impacts sur la biodiversité exigée.

France

Plan de lutte national ; destruction par des entreprises ou des services agréés. Aide possible au niveau local.

Protection des ruchers incluse dans le plan national et mise en oeuvre à l'échelle départementale, formations, subventions locales.

Oui, méthodes sélectives pour limiter impact sur les pollinisateurs non ciblés.

Espagne

Signalement via les municipalités ; intervention par les services publics ou les entreprises publiques.

Programmes régionaux (Galice, Pays basque) avec surveillance et soutien aux apiculteurs.

Oui, piégeage ciblé et restrictions temporelles pour limiter l'impact écologique.

Italie

Réseaux locaux et projets LIFE pour détection et destruction.

LIFE STOPVESPA : surveillance, formation, lutte intégrée.

Oui, protocoles sélectifs pour limiter les dommages non ciblés.

Portugal

Plan national et réseau de surveillance ; intervention par municipalités.

Plan d’action incluant la protection des ruchers.

Oui, priorisation des méthodes minimisant l'impact sur les autres insectes.

Royaume-Uni

APHA/NBU coordonnent la détection et la suppression ; signalement via BeeBase.

Surveillance, destruction, analyses ADN pour suivi.

Oui, approche de réponse rapide et suivi scientifique.

Pays‑Bas

NVWA, provinces et municipalités gèrent les signalements et les interventions.

Plateformes de signalement et campagnes d’information.

Oui, mesures encadrées pour minimiser les effets non ciblés.

Belgique

Hotlines régionales (Vespa‑Watch), le CRA-W coordonne la formation des neutralisateurs, des moyens financiers régionaux soutiennent les apiculteurs ; Certaines communes prennent en charge la destruction.

Piégeage au printemps, enregistrement central, formation d’intervenants, encadrement des apiculteurs.

Oui, plans régionaux avec précautions sur piégeage.

Allemagne

Länders et municipalités organisent les procédures ; les agences environnementales locales conseillent.

Conseils municipaux, formation, interventions professionnelles.

Oui, des mesures locales prennent en compte la biodiversité.


Des aides européennes ciblées et limitées


L’Union européenne soutient principalement la lutte via :

  • le programme LIFE (projets LIFE STOPVESPA, LIFE ASAP),

  • et le Fonds de cohésion pour des projets transfrontaliers (ex. GESVESPA au Portugal).

Ces projets ont permis :

  • la mise au point de pièges sélectifs non létaux,

  • la formation d’agents locaux,

  • et la création de réseaux de surveillance dans plusieurs pays.

Mais les budgets demeurent modestes : le total des financements européens directs liés à Vespa velutina ne dépasse pas 5 millions d’euros sur la dernière décennie — une somme dérisoire comparée aux plus de 30 millions d’euros de pertes annuelles estimées pour la seule apiculture française.

Dans la plupart des cas, les aides budgétaires sont apportées au niveau national et régional comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous.


Pays

Type d'aide

Projet / programme

Montant

Période

Source

UE

Fonds européen

LIFE STOPVESPA

2,27 M€ (60 % UE)

2015–2019

LIFE Projects Database

France

National / régional

Plans départementaux/régionaux

variable

2020–2025

Ministère de l'Agriculture / Sites régionaux

Espagne (Galice)

National / régional

Programmes Xunta de Galicia + diputaciones

variable

2020–2025

Xunta de Galicia, rapports régionaux

Italie

Fonds européen / régional

LIFE STOPVESPA

2,27 M€

2015–2019

LIFE Projects Database

Portugal

Fonds européen

GESVESPA

411 664 € (346 543 € Fonds de Cohésion)

2020–2024

INIAV, fiche projet OP

Royaume-Uni

National

APHA / NBU

variable

2023–2025

APHA / Defra

Belgique

Régional

Plan Frelon Wallonie

267.000€ - 2023 et 400.000€ - 2024

2023–2024

CRAW-CARI

Pays-Bas / Allemagne

National / régional

Provinces, municipalités, associations

variable

2020–2025

Rapports locaux, associations


Estimations économiques de la gestion


Il est difficile d'établir un comparatif économique lié à la gestion de la destruction des nids, à la protection des ruchers et à l'ensemble des mesures mises en oeuvre pour lutter contre Vespa velutina. A elles seules, les pertes apicoles sont difficiles à chiffrer. L'étude de Barbet-Massin et al. (2020) évalue le coût de destruction des nids à 23 millions d'euros rien qu'en France et à 11,9 millions d'euros supplémentaires (au moins) chaque année, avec une augmentation probable à mesure que l'espèce continue de se propager. L'étude de Requier et al. (2023) considère que le risque de mortalité des colonies d'abeilles lié aux frelons pourrait atteindre jusqu'à 29,2 % du cheptel des apiculteurs à l'échelle nationale chaque année dans un scénario de forte prédation. Ce coût national pourrait atteindre 30,8 millions d'euros par an en considérant la perte de colonies, ce qui représente pour les apiculteurs un impact économique de remplacement du cheptel de 26,6 % des revenus de la production de miel. Des chiffres éloquents et difficilement soutenables. Des chiffres posés sur le préjudice causé à la filière apicole aident à conceptualiser l'ampleur de la catastrophe.

Pays

Coût estimé de la destruction / gestion

Coût des pertes apicoles

Source

France

~23 M€ (2006–2015) pour destruction des nids

~30,8 M€/an pour pertes apicoles

Barbet-Massin et al., 2020 / Requier et al. 2023 /

Italie

Projections jusqu’à ~9 M€/an

-

LIFE STOPVESPA, projets régionaux

Espagne (Galice)

14–21 % de la valeur de production pour contrôle apicole

-

García-Arias, études régionales POSitiVE

Portugal

411.664 € projet GESVESPA

-

INIAV, fiche projet OP/Fonds de Cohésion

Royaume-Uni

8–9 M€/an projeté

-

APHA/NBU reports

Belgique / Pays-Bas / Allemagne

Estimations locales selon provinces/muncipalités/régions

-

Rapports régionaux et associations apicoles

Ces coûts, essentiellement concentrés sur la filière apicole, n'intègrent pas les coûts d'autres filières de production comme la fruiticulture. Les frelons asiatiques sont largement observés sur les cultures fruitières (pommes, poires, prunes, figues, myrtilles et mûres) selon García Arias et al. La prédation des frelons peut entraîner une diminution de la qualité et de la quantité des récoltes et affecter également les revenus des producteurs.


une menace partagée, une réponse à harmoniser


La lutte contre le frelon asiatique illustre à quel point les politiques environnementales européennes restent à consolider. Sans coordination forte, l’effort collectif risque de se diluer. Les apiculteurs, premiers témoins de cette invasion, quotidiennement au contact des dégâts causés sur les colonies d'abeilles, jouent un rôle essentiel en relayant les données de terrain, en participant aux projets locaux, en soutenant la recherche appliquée et même en participant activement à la destruction des nids. Ils ne peuvent pas pour autant rester seuls face à ce désastre qui a des conséquences économiques graves encore mal évaluées, en particulier sur la pollinisation. Et c'est sans prendre en compte les dommages causés sur l'ensemble de l'entomofaune et sur la biodiversité. Il est temps d'en faire une cause collective.


Quelques Références


  1. Barbet-Massin, M., et al., NeoBiota 2020 – estimation coûts de destruction en France.

  2. Requier, F., et al., 2023 – pertes apicoles estimées en France.

  3. García-Arias, 2024 – études régionales Galice, Espagne.

  4. LIFE Projects Database – fiches LIFE STOPVESPA Italie.

  5. INIAV, Portugal – fiche projet GESVESPA, Fonds de Cohésion.

  6. Xunta de Galicia – rapports régionaux programmes de surveillance et piégeage.

  7. APHA / National Bee Unit, UK – rapports annuels surveillance et destruction.

  8. INBO / EWI Flandre – plateforme Vespa-Watch.

  9. CRA-W Wallonie - piégeage, recherche, formation des neutralisateurs

  10. Stratégie et plan national de lutte en France

  11. Communiqués provinciaux et associations d’apiculteurs, Pays-Bas et Allemagne.


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